roman

vendredi 30 décembre 2016

Chautauqua Institution, NY : là où tout a commencé...

Athenaeum Hotel, Chautauqua

Lors du voyage de repérage du précédent roman Black coffee, j'avais rendu visite à un couple d'amis français installé dans l'Etat de New York. Jonathan et Saskia m'avaient déjà parlé de l'environnement particulier où se trouvait leur restaurant gastronomique La Fleur et de cette ville hors du commun qu'était Chautauqua Institution, à ce contraste entre l'été et l'hiver, la foule estivale et le silence empesé de neige d'octobre à mars.
J'avais déjà imaginé cette ville comme futur décor d'un roman, de disparitions et de morts suspectes dans la population clairsemée au plus rude moment de l'hiver. 



Mais j'étais loin d'imaginer quel lieu hors du commun j'allais découvrir.
Un paradis terrestre. 







"Sous un ciel empourpré, la petite ville de Chautauqua dévoilait ses atours, verdure et maisons à colonnades."


"Chautauqua était une ville hors du temps, gardée, barricadée, née de la volonté d’une poignée d’hommes croyant aux vertus de la discipline artistique en plein air."



Magnolias, allées de briques rouges et drapeaux américains au garde-à-vous à chaque balcon. 

"La haie de rhododendrons avait doublé de volume depuis avril, recouvrant entièrement les tulipes. Les fleurs en entonnoir, blanches et généreuses, retombaient de tout leur poids vers le sol." 


"Les décors les plus extravagants, du héron en bronze martelé au farfadet de terre cuite. Les porches ne se concevaient qu’agrémentés de fauteuils en rotins couverts de coussins crochetés à la main et de mobiles inventifs aux ondulations enchanteresses."



















... Bref! A mon goût, une ville trop belle, trop sage pour être vraie. Bordant le lac Chautauqua, elle n'est accessible que par un portail dont une barrière protège l'accès l'été. Il faut montrer patte blanche pour y entrer. Avec sa population vieillissante et fière des doctrines propres à la ville, Chautauqua Institution évoque le village de la série TV Le prisonnier.
Très vite, l'idée que Desmond G. Blur puisse s'y retrouver m'a effleurée pour ne plus me quitter. Puis, je me suis plongée dans l'écriture de Black coffee.

Ce n'est qu'en juillet 2014 que je suis enfin revenue à Chautauqua pour y faire les repérages de White Coffee ... à vélo.






jeudi 29 décembre 2016

En passant par la Lorraine...



Lorraine

 White coffee est une arche.


Arizona
Une arche qui enjambe l'océan, rapproche les forêts majestueuses de Oak Creek Canyon en Arizona des bois denses où je me promenais, enfant, avec mes parents ou des amis, autour de Nancy.

Lorraine
Ces territoires symbolisent pour la petite citadine que je fus un champ d'évasion, une invitation perpétuelle à prendre son élan et courir, à caresser l'écorce des arbres, écarter les feuilles au pied de racines pour y chercher des trésors de champignon, humer le parfum de l'aurore, la folle ivresse de l'automne, imaginer un garçon me prenant doucement par la main et me conduisant sur un sentier inconnu où se dresseraient, soudain, les vestiges d'un passé fascinant - des fortifications datant de la première guerre... Des plaies ouvertes du passé, jamais cicatrisées, qu'Annette entrevoit sur Internet en cherchant où pourrait se trouver son frère.


"Elle découvrait à présent que, tout autour de sa ville, des fortifications érigées à l’aube du XXe siècle truffaient les forêts. Il suffisait presque d’écarter les branches des arbres pour tomber dessus. Elle avait dénombré pas moins d’une vingtaine d’abris de combats aux abords de Toul, et autant d’ouvrages d’infanterie et de forts, visitables ou non, et pour la plupart à l’abandon, perchés parfois sur une colline, au milieu d’un champ, le plus souvent engloutis au fond d’un bois. Les photos qui défilaient sur l’écran avaient quelque chose de macabre et de terrifiant. Elles montraient de vieux murs tagués ou couverts de ronces, des cadres de lits en fer rouillés sous de vastes chambrées aux parois voûtées, des couloirs encombrés de débris, inondés d’eau croupie. Telles des guirlandes trop vite arrachées, des ruissellements calcaires descendaient des plafonds. Jamais Annette n’avait vu d’aussi sinistres vestiges. Montait de ces vieux murs en ciment une mauvaise rumeur, une odeur de mort."

C'est grâce à Cédric et Julie Vaubourg, de l'association Fortiff'Seré et à leur formidable blog consacré aux ouvrages de guerre en Lorraine que j'ai pu effectuer les repérages géographiques et topographiques me permettant de créer toute la séquence dans la forêt du toulois. 


(Images tirées du site Fortiff'Séré)




Le coeur de Nancy bat, bordé de cette toison verte ensorcelée de bois, de campagne et de souvenirs. J'y ai écouté l'écho de ma voix, chatouillée par le vent et les cris des oiseaux, loin derrière, appelant mon frère ainé, lui, toujours devant, et qui jouait à me perdre, faisant naître en moi l'angoisse du Petit Poucet abandonné à la forêt par ses parents.


Lorraine

Effroi, excitation, frisson, et sentiment de victoire se succédaient en moi. J'allais couettes au vent, le nez rougi et les doigts glacés, lorsque je dénichais enfin ce frère grimpé en haut d'un arbre, trahi par ses ricanements. Combien j'étais forte sur mes jambes, courageuse et tenace malgré les coups de griffes des buissons. Rentrer ensuite prendre un goûter à la maison prenait des airs de festins glorieux.

C'est de cette exaltation-là, de souvenirs de ma jeunesse, que j'ai voulu habiller quelques chapitres de White Coffee. Gaston, 9 ans, a enfilé mes bottes, avalé un gros morceau de mon courage. C'est pour lui une étape initiatrice qui le prépare à l'âge adulte et à sa grande et belle solitude.


"— Papa!
Le sang martelait ses oreilles. Les poils urticants des feuilles d’orties lui brûlaient encore les doigts. Pas de réponse. Il cria encore. Appela son père, s’enfonçant toujours plus avant dans la forêt. Il avait peur de le perdre. Peur de se retrouver seul. Peur de voir la laie ressurgir au milieu de cette végétation si dense et le charger à son tour. Il manqua plusieurs fois de se prendre les pieds dans des racines. Le sol mou et glissant engloutissait ses baskets. Son bâton lui manquait pour fendre les buissons et repousser les branches qui griffaient sa peau à travers le jean.
— Papa!
Plus un son. Pas un souffle, pas même le vent pour donner un frémissement au sous-bois. Grimpant sur une butte, il s’y percha sur la pointe des pieds et scruta l’horizon mais les arbres étaient trop serrés pour qu’il puisse voir quoi que ce soit à plus de vingt mètres. "



Arizona


Desmond, lui, affronte ses propres doutes, sa peur de l'engagement et se confronte au roc, aux murailles de terre dont il se contente d'abord de contempler les creux et les couleurs, la tête basse, hésitant encore à lier son âme et son esprit à Lola, cette femme qui a surgi dans sa vie, de peur d'y trouver une forme d'aliénation, une perte de contrôle. Mais la nature va se charger de lui faire comprendre combien ce lien peut, au contraire, lui permettre de puiser une force nouvelle en lui.

" Le chemin pentu, à flanc de colline, était jalonné de branches mortes, bordé de ces arbres que l’on ne peut regarder sans éprouver de la peine tant leur feuillage se dépouille à l’automne. Mais une feuille suffisait à leur donner vie, encore, peignant la lumière du sous-bois d’une couleur de sang. Partir en randonnée avec celui qui fut le meilleur ami de son père donnait à Desmond l’illusion de marcher dans les pas de l’autre, de transpirer la même eau, de perpétuer quelque chose dont il ignorait la finalité mais qui au fil des heures, il l’espérait, lui procurerait une forme d’apaisement. La forêt majestueuse entrouvrit un peu plus sa robe sombre, dévoila ses sous-bois embaumés de sève.
— Attention, Des’ ! Ça descend à pic.
Les deux hommes avaient abaissé de grosses chaussettes par-dessus leurs chaussures de marche et, en dépit de la chaleur, préféré le jean au short à cause des moustiques et des arbustes qui griffaient les mollets. Des cailloux se détachaient de temps en temps sous leurs pieds, avertissant du passage des randonneurs lézards et serpents dissimulés sous des rochers caverneux. En contrebas dans le canyon, à peine décelable derrière les bosquets, la rivière amoindrie par un été sec poussait contre le vent des vaguelettes cristallines dont le murmure indiquait la distance qui restait à parcourir."

Arizona

Si j'évoque Nancy et la place Stanislas, bien sûr, je revisite aussi un quartier que j'ai habité lorsque j'avais entre 9 et 16 ans - le secteur Boudonville/rue de la Colline. C'est là, rue de la Croix Gagnée que se trouve la maison de Lola, au numéro 15, là où j'ai vécu sans doute les plus belles années avec ma famille, de 1977 à 1981.  Voici cette fameuse croix qui donne son nom à mon ancienne rue où j'imagine si facilement Lola et ses enfants, Annette et Gaston remontant la rue après l'école et un passage à la boulangerie.




En glissant un décor familier dans ce livre, je redonne vie à des émotions personnelles que je croyais avoir perdu, je me projette plus facilement dans la peau des personnages, fusionne avec Lola. Je connais l'odeur de sa peau, son parfum, les vêtements suspendus dans sa penderie : Lola est un curieux mélange de ma mère et de moi. Je l'imagine facilement faire ses courses à la Sapinière comme si je poussais le caddie à sa place, et je connais ce frisson mauvais de la carte de crédit refusée pour provision insuffisante. C'était l'époque difficile de mes 20/25 ans aux côtés d'un artiste remarquable, brillant, intelligent, mais qui n'avait de cesse de freiner des deux pieds dès qu'il entreprenait quelque chose de formidable comme s'il se refusait le droit au bonheur et à la réussite, vivant nos difficultés économiques comme une fatalité. Un homme qui, avec certitude, aura influencé le personnage de Pierre.




Pas d'évocation de la Lorraine sans ma "madeleine": la mirabelle.


"Un collier de lierre descendait de chaque côté des fenêtres. Parure ostentatoire, abondante. La façade de la maison s’ornait encore de roses trémières aux pétales de porcelaine. Sur la terrasse, autour d’une table en fer aux pieds rouillés, Lola et sa mère triaient les dernières mirabelles, des éclats de soleil dans les cheveux. Gaston en livrait de pleins paniers depuis le verger où son grand-père l’aidait à cueillir les fruits d’or, dirigeait sa main vers les branches les plus généreuses, tenant l’échelle. Un vent au frais accent d’automne apportait leurs voix. La récolte était précoce. Recouvertes d’une pellicule cireuse, parées de taches rouges, les mirabelles chanteraient bientôt dans une bassine en cuivre, embaumant la cuisine.
— Mamie Ophélie, papi a trouvé un orvet !"

Dans ce passage, j'évoque aussi un couple d'amis écrivains qui me sont chers, Gilles Laporte et sa délicieuse compagne Frédérique Volot, en m'inspirant de quelques photos de leur maison qu'ils ont eu la gentillesse de me transmettre. On ne pouvait imaginer plus magnifiques parents pour Lola.

Les voici en conférence au festival Les Imaginales à Epinal

Sans doute aurais-je aimé, dans une autre vie, avoir un père à la barbe si douce et rassurante que celle de Gilles, sans doute aurais-je aimé me sentir choyée dans le beau regard de Frédérique. Et dans leur grande gourmandise littéraire, leur amour des chats et la culture du terroir qu'ils entretiennent, je retrouve un peu de mes parents. Autant donner le meilleur à Lola.

mercredi 28 décembre 2016

L'inconnue de Bagdad Café




Revenir sur la route 66 était non seulement indispensable mais nécessaire pour reprendre l’intrigue là où Black coffee l’avait laissée, soit à sa dernière étape, sur le ponton de Santa Monica Bay. Pierre Lombard, le mari de Lola, se précipitait alors vers un officier de police pour lui demander de bien vouloir contrôler ses papiers d’identité.


Nous avions donc, en perspective, un personnage qui se dévoile, et sur lequel nous avions tout à découvrir.
Revenir dans le passé de Pierre, c’était revenir à Amboy, là où le piège de David Owens s’était refermé, là où tout avait commencé.

"Ode héroïque dressée sur la route, le Roy’s Motel Café offrait au vent ses pompes à essence. Le sable du désert griffait leur métal, tourbillonnait, attaquait d’un même élan le congélateur rempli de glaçons. " 



Retrouver Patti et le Roy’s Motel Café ainsi que tous les personnages qui gravitent autour me permettait de revenir à la source même du mythe que j’avais créé, celui du tueur en série ayant opéré toute sa vie durant sur la Mother road.


"À l’intérieur du diner, chantant un printemps imbécile et frais, la voix de Lena Horne s’envolait d’un juke-box. Accoudée au comptoir, la soixantaine, Patti feuilletait un magazine. Des bouclettes fauves pétrifiées d’un excès de laque ornaient ses épaules. Depuis l’aube, l’établissement connaissait une forte affluence. À dix-neuf reprises, on avait interrompu la serveuse dans sa lecture. Un record à la haute saison. "

Si vous voulez en savoir plus sur l'histoire d'Amboy et du Roy's Motel Café, voici un blog en anglais passionnant à découvrir ici: 




Mais j’ignorais alors qu’une jeune femme avait réellement trouvé la mort dans ce secteur particulièrement désertique de la 66 : April B. Pitzer.
White coffee lui est dédié.
C’est au cours de mes recherches que je suis tombée par hasard sur ce site et que j’ai découvert celle que j’appellerais « la victime de trop ».  



Ce jour-là, en découvrant son visage, sa grande beauté, j’ai été troublée. D'abord, par le fait que nous avons quelques points communs (pommettes, bouche, regard, chevelure): elle ressemble à la jeune femme que j'étais au même âge (ci-dessous, une photo de moi prise par le photographe de l'Est républicain Serge Lalisse à Nancy dans les années 90)



J'ai aussi été bouleversée de découvrir que, la manière qu'à mon personnage David Owens d'approcher ses victime, était similaire à celle utilisé par l'homme qui a tué April.

April B. Pitzer était serveuse au Bagdad Café lorsqu’elle disparut en 2004 aux environs de Newberry Springs à un arrêt de bus. A cette époque, j'imaginais mon personnage déjà dans le secteur.



Nom : April Kurban
Numéro d’affaire : JP 31101963
Disparue depuis le 28 juin 2004, de New
berry Springs, Californie
Affaire classifiée : Disparition inquiétante
Date de naissance : 19 février 1974
Âge : 30
Taille : 1,78m
Poids : 55kg
Couleur des cheveux : Roux
Couleur des yeux : Marron
Race : Blanche
Genre : Féminin
Signes distinctifs : cicatrice du côté

gauche de la poitrine, absence de dentition supérieure, cicatrice au coude, à la lèvre. Peau moyennement claire.
État de santé : Bipolaire (sous traitement médical)
Habillement : Chaussures de sport ou sandales pointure 39
Bijoux : Collier indien en pierres turquoise avec deux plumes argent

Tout ce qui est dit dans le roman au sujet de cette jeune-femme est authentique, de la couleur de cheveux à la pointure des chaussures. J’ai simplement changé son nom (par égard pour sa famille), imaginé qu'elle avait croisé le vieux Dave, et j'ai accroché un collier à son cou pour la nécessité de l'histoire.


Dans cette triste et véritable affaire, depuis le début, la police est passée à côté du suspect numéro 1 - un homme plus âgé avec lequel elle avait une relation amicale. 
Un homme qui évoque vraiment le personnage de Dave. 
Un homme qui n'a pas agi seul.
Comme souvent dans ce genre d’histoire, la victime est présentée comme « coupable » d’un égarement, d’une négligence. Le moindre accroc à son casier judiciaire, un petit détail dans son dossier médical, une vie passée instable, et la voilà suspecte d’avoir couru à sa perte. Ainsi, la mère d’April a battaillé durant de longues années pour que la vérité soit enfin faite sur la mort de sa fille.


"April Kurban. Une jolie rousse – quoiqu’un poil trop maigre au goût du shérif – râleuse, aguicheuse. Patti, avec trente ans de mois. Si Beth Kurban souffrait de ne pas savoir ce qu’il était advenu de sa fille, les bruits qui couraient à son sujet la blessaient tout autant. April n’était ni une droguée ni une femme battue. Elle le jurait, main sur le cœur, le répétait sur les réseaux sociaux et aux membres bénévoles des organisations Let’s Bring Them Home, the Kristen Foundation et Texas Equusearch. Trois des incisives supérieures de sa fille avaient été brisées dans un accident de voiture et non par le poing d’un amant jaloux – accident dont April conservait aussi plusieurs cicatrices, sa tête ayant traversé le pare-brise.
La jeune femme était-elle enfouie là quelque part, avec des dents toutes neuves, à l’opposé du secteur où on la cherchait depuis des années ? "

En 2013, on retrouvait des ossements dans le désert. De nombreux sites de recherches et beaucoup de discussions associées sont toujours ouvertes au sujet de sa disparition. Voici un lien Unresolved Mysteries qui vous dirige vers une de celles qui m'ont intéressées, car il y est question d'Uncle Chuck, ce type du côté duquel la police a négligé d'enquêter.



April allait pencher sa chevelure sombre sur le récit, hanter de sa présence le récit de White coffee.  Elle allait aussi inspirer le séquençage du livre, associant une chanson et une saison particulière, son parfum d’été ou d’automne à l’histoire.
It might, as well, be spring...

Cliquer sur l'image pour écouter Lena Horne.



mardi 27 décembre 2016

Le casting idéal




C'est un luxe inouï que celui de l'auteur de pouvoir s'offrir le casting idéal du film qui se tourne dans sa tête dès les premiers instants de l'écriture. Difficile, impossible, même, d'imaginer pour moi certains personnages autrement qu'avec l'apparence que je leur ai donnée, même si en général, mon processus d'écriture est plutôt d'être à l'intérieur d'un personnage (l'équivalent de la caméra subjective). Je suis donc rarement confrontée à leur image. En revanche, je perçois les battements de leur coeur, leur respiration, les vibrations de leurs cordes vocales, leur état nerveux. Ainsi, au-delà du physique, c'est surtout la personnalité, les attitudes particulières, le ton d'une voix d'un comédien ou d'une comédienne qui apportent épaisseur et crédibilité.
Voici leurs visages. Ils sont sans doute différents de ceux que vous avez donnés aux personnages au cours de votre lecture. Mais vous devriez percevoir quelques points de ressemblance sur le plan du caractère.

DESMOND G. BLUR : Viggo Mortensen a beaucoup influencé le personnage. Il parle avec cette même douceur, d'une voix un peu nasillarde, avec "des sifflantes". Il est aussi doué pour les langues, très proche de la nature, a tendance au repli sur soi, et connait parfois des enthousiasmes puérils (voir ses interviews). Comme si Desmond et Viggo portaient en eux, à chaque instant, toutes les facettes de leur personnalité depuis l'enfance pour mieux se confronter à la réalité. 


"Passant une main dans ses cheveux, il ne trouva qu’une courte mèche à rabattre sur son front. Question d’habitude. Le port du bonnet de laine étant obligatoire en cette saison à Chautauqua, les cheveux rebiquaient sur les oreilles, collaient au front d’une désagréable façon. Desmond s’était donc résolu à prendre place dans un fauteuil du Vincenza Salon Spa où, pour vingt-huit dollars, quelqu’un avait raccourci ses longueurs d’un fatal coup de ciseaux. Mais retrouver sa tête de citadin ne l’enchantait pas. Ses cheveux coupés court dévoilaient le creux des joues et des taches de vieillesse autour de l’œil gauche. "


LOLA LOMBARD est Carol Lombard. Au départ, l'idée que Lola porte une cicatrice au visage m'a été inspirée par la romancière Catherine Diran (également chanteuse et fondatrice du groupe Lilicub) dont le visage porte de très discrètes cicatrices. Mais en cherchant des photos de Carol Lombard à glisser sur ce blog, je suis tombée sur celle-ci:



De façon très nette, une petite cicatrice apparaît sous la pommette gauche. J'ignorais totalement ce détail. Troublant, non? L'avais-je entrevue un jour dans un de ses films? ... Je ne crois pas au hasard, seulement aux fils qui relient le passé au présent, et qui font que le choix du nom que porte Lola serait celui de Carol Lombard alors même que celui d'une autre femme avec une cicatrice au visage me troublait. 
L'inconscient à une grande part de responsabilité. Il est souvent coupable de tout!
Ce qui est encore plus troublant, c'est la façon dont Carol Lombard, épouse de Clark Gable, trouvera la mort tragiquement (voir lien ci-dessous).


"Cette femme s’était présentée sur sa route comme un rocher se détache d’une falaise, prisonnière d’un amas de métal, le visage en sang. Desmond lui avait porté secours, ignorant qu’elle réapparaîtrait bientôt sur sa terrasse pour l’enchanter des ondulations torrides de sa jupe, porteuse d’une énigme dont sans le savoir il détenait la clé. En quelques jours, elle avait bouleversé sa généalogie, réconcilié Desmond avec son père et désigné du même coup l’homme qui jadis massacra sa famille. Elle avait fait tout cela, sans effort, et bien plus. Elle avait agité devant lui une sorte de chiffon, comme un signal, un ruban passé dans le cœur, lui soufflant soudain l’idée qu’il pourrait être doux d’arpenter les montagnes du parc forestier de Coconino avec un compagnon qui n’aurait pas les mollets velus de son pote Ken Grimm mais une délectable cambrure des reins."



Mes deux agents du F.B.I. : 





"Ce matin, deux fouineurs du FBI l’avaient soûlé. L’agent Born, plus noir que noir et plus massif qu’une cuisine intégrée en chêne, avait laissé une blondasse plus blanche que blanche et fringuée à la Hillary Clinton poser les questions vicieuses, se contentant de jouer avec les élastiques de son dossier, loupant une fois sur deux son coup à cause de ses doigts gros comme des saucisses."


PAUL BORN est Laurence Fishburne.  

L'agent FREDERIC TIRMONT est la magnifique Emma Thompson (pour l'anecdote, le personnage du roman porte le nom de la comédienne qui la double en français, Frédérique Tirmont).
C'est le charisme de ces acteurs, leur incroyable palette d'émotions qui, dès la première scène, les a imposés comme étant deux personnages forts du roman. Pourtant, au départ, l'un comme l'autre n'étaient censés exister que dans la scène de l'interrogatoire.


Mes deux choupinets de la police de Barstow, déjà dans Black coffee, je les ai retrouvés avec un indescriptible plaisir. Ils se sont aussi imposés à l'écriture comme un gros chat vient se frotter à votre ordinateur pour réclamer de l'attention et des caresses. Avec eux, au creux de leur rapport singulier (le shérif est très paternaliste avec son jeune adjoint, mais aussi très jaloux de sa jeunesse, de cette part de séduction qui l'a déserté), je me régale.

SHERIF MIKE KIRBY
(John Wayne)


"Le véhicule roula au pas jusqu’aux pompes à essence et s’immobilisa, fourrant son museau presque sous la jupe de Patti. Aguicheur, le capot lançait des reflets vif-argent. Le shérif enclencha l’ouverture automatique de la vitre. Un vent suave remplit l’habitacle, et il ne put retenir un commentaire.
— Tu vois, p’tit, quand on a devant soi un aussi beau morceau, on est heureux. Ça viendrait même pas à l’idée de réclamer la sauce pimentée.
Levant un sourcil, Lane taquina son supérieur à voix basse :
— Elle est pas un peu trop jeune pour vous, la serveuse du Roy’s, chef ?
— Je te parle d’esthétique, gamin. On touche pas une dame en veuvage. Distance réglementaire. Mais c’est de la rousse qui décoiffe... Je suis de 41 et elle est de 49, comme feue Mrs Kirby, précisa-t-il. "

SHERIF ADJOINT HONDO LANE
(Channing Tatum)


La veuve du tueur, PATTI, je ne pouvais pas non plus me contenter de l'oublier au bord de la 66. 
Un bis s'imposait.


BETTE MIDLER

"Patti froissa sa crinière du bout des ongles, faisant tinter ses bracelets. Du regard, elle embrassait la pièce, telle la future propriétaire des lieux.  (...) Quel beau spectacle. Oui, quel beau spectacle. Ce
cul miraculeux au milieu de la pièce... Rien n’avait jamais commencé entre Patti et lui à cause des sentiments que la rouquine venue du Missouri éprouvait pour Dave. Mais dans le contre-jour de ses pensées, Mike Kirby espérait qu’une aussi forte illusion puisse demain combler l’ennui désespérant d’un veuf. Et c’est presque malgré lui qu’il s’entendit bredouiller qu’il avait un travail urgent à finir mais que, dans trente minutes, il serait rudement content qu’elle accepte de se joindre à lui pour partager des tapas au Los Domingos Restaurant. "



 Dans le registre "Actrices inoubliables", je vous présente MISS AMELIA WEG (Mia Farrow), la bibliothécaire de la Smith Memorial Library de Chautauqua Institution, qui en pince pour le professeur Blur.


"Puis elle s’aperçut que le professeur penchait son délicieux profil de quinqua sur une brochette de dames tenant des bouquets de fleurs.
— Cette photo-ci date de 1935, dit-elle. Le Chautauqua Women’s Club au complet : de gauche à droite, Mrs Thomas Edison, Mrs Henry Ford, Mary Miller Nichols... Vous êtes certain que vous ne voulez pas encore un peu de café ?
Tout à l’observation du cliché, le professeur secoua doucement la tête. Ses lunettes de vue lui allaient à ravir ; sans qu’elle parvienne à en comprendre la raison, la fossette qui creusait son menton sous une courte barbe évoquait à la jeune femme l’époque où elle fréquentait le collège de Maryville dans sa région natale du Tennessee.
— Merci, miss Weg.
Fine comme une liane dans sa robe chasuble, la bibliothécaire contrôla le nœud du foulard qui descendait sur sa poitrine et posa la question qui lui brûlait les lèvres."


A Chautauqua Institution, on trouve également de charmantes petites dames qui perdent un peu la mémoire - ou la tête. Voici BETSY GRIFFIN. Le choix de LINE RENAUD n'est pas anodin. (Vous découvrirez pourquoi en lisant le roman)





"Betsy Griffin replia contre elle les pans de son gilet et se dirigea tête baissée jusqu’à l’appentis au fond du jardin. Le temps se couvrait. Des vents violents soufflaient de toutes parts.
— Ce que cette demoiselle de la bibliothèque vous a rapporté de notre échange est conforme au souvenir que j’en ai gardé, Mr Blur.
Elle portait un pantalon en tergal et une chemise d’homme nouée sur les hanches. Un foulard bleu clair glissé dans ses cheveux accentuait leur couleur meringue.
— ... Mais je ne sais pas si ce qui se trouvait encore hier dans mon congélateur existe bel et bien.
Desmond marchait à côté d’elle, bonnet jusqu’aux oreilles. Il s’était présenté à sa porte un peu après 10 heures, la surprenant en plein ménage.
— Pourquoi auriez-vous inventé cette histoire ?
— Ça aussi, je l’ignore. Des images tellement singulières me passent par la tête ces temps-ci !"


On entrevoit également dans ce livre des personnages qui existent dans la réalité et dont les noms ont été changés (ou intervertis). L'archiviste de Chautauqua Institution, par exemple, WARREN WISSEN:

(J. Schmitz)

"Dans sa façon de se tenir, épaules et ventre relâchés, l’homme d’une cinquantaine d’années ressemblait à un panda affublé d’une barbe à collier poivre et sel. Il possédait de larges oreilles mais parlait à voix basse ; sans doute une habitude prise pour ne pas déranger les lecteurs. Desmond s’accordait volontiers à cette tonalité, cette perpétuelle quiétude.
— Étonnant, murmura-t-il.
— Plaît-il ?
— Que ce policier se nomme Jonathan Schmitz. 

— Pourquoi donc ?"



...  Oui, parce que dans la réalité, l'archiviste se nomme... Jonathan Schmitz! Il fut une formidable source d'informations pour le roman et aussi, une personne avec laquelle les échanges furent passionnants et bien agréables (comme ce moment où nous nous sommes retrouvés par hasard au bar de mon hôtel où la barmaid fait si bien les margaritas)

Enfin, voici celui qui s'en revient des Etats-Unis avec son look improbable, pour le meilleur et pour le pire : PIERRE LOMBARD endosse la panoplie bien particulière d'un chanteur qui m'a beaucoup inspiré, à la fois viril et fragile, calculateur mais nature, impétueux mais doux, prêt à aller au bout de ses convictions à ses risques er périls - et dont le look ne cesse d'évoluer au file des saisons. Je lui ai beaucoup volé - jusqu'à son tatouage.




"Il prit la pose, revêtu de cuir noir et de python dans un fauteuil Louis XV.

— Regardez par ici ?
Suivre la main du photographe comme l’étoile du Berger.

— Parfait... Bien... Très bien...

Bras relâchés sur les accoudoirs, profil inspiré.

— ... Super !

Pierre se trouvait beau avec ses lunettes Romeo Gigli."


"Le parfum particulier d’un plateau de télévision – gélatines de projecteurs chauffées à blanc et sciure de bois –, ce climat de fausse décontraction, tous ces gens occupés à bosser mollo devant des peoples statufiés sous le fond de teint, le stress électrisant des assistants bornés, le plumeau expert de la maquilleuse très copine avec Jean d’O. et Sardou, ses palettes de couleurs comme à l’école pour réenchanter la laideur... Pierre renouait avec une fiancée infidèle et volage, lui pardonnait tout, affichait une paisible crainte en attendant son couronnement sur petit écran et puisait en elle de cette gloire essentielle à son existence. "

(Le tatouage de Pierre Lombard)


Il y a bien d'autres personnages dans ce livre, mais sur lesquels, si vous le permettez, je vais garder mes secrets de fabrication. 
A vous de les imaginer tels qu'ils vous apparaissent.
N'est-ce pas, Gandalf?